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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 01:19

 

 

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Le Bal des ardents. 1393

(in Jean Froissart, Chroniques, XVème siècle)

 

 

 

 

La Duchesse de Dino, dont l’oncle par alliance n’était autre que Talleyrand, rapporte une anecdote qui m’a bien fait rire :

 

« Paris, 28 janvier 1836. – Nous dinions hier chez le maréchal Maison. [...] On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s’y rendaient effectivement ; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix : ‘j’ai un moyen parfait, que j’ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j’ai donnés : je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d’elle, et je lui dis : ‘Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule’. »[1]

 

Les convives sont des haricots qu’on jette en ridicule. Bonne idée. Il y a un côté Hansel et Gretel à compter les gens avec des haricots. Qu’on les jette tous dans une grande poêle et qu’on les cuisine un peu ! On les fait bien danser, pourquoi ne pas les faire frire aussi? On l’a fait d’ailleurs, au bal des ardents[2]. La Maréchale dit cela avec tout le sérieux du monde, elle rapporte fidèlement les instructions données à la femme de chambre, « Mariette », puisqu’elle nous gratifie même de son prénom. Lorsqu’elles veulent se donner de l’importance, les « grandes dames » aiment montrer comment elles dirigent leurs gens. Elles aiment rapporter au mot pour mot les ordres qu’elles leur donnent avec ce ton supérieur, empreint d’une condescendance compatissante, car « vous comprenez, la pauvre est un peu sotte »... Le mot « ridicule » dans la bouche de la très sérieuse Maréchale n’a rien de sarcastique, on se doute que c’est ainsi qu’elle désigne un genre de sac-à-mains. D’ailleurs, la princesse Radziwill, qui a annoté l'édition,de 1840, n’a pas jugé bon de préciser quoi que ce soit à cet endroit : le mot devait être d’usage suffisamment courant à l’époque. Ce « ridicule » est en fait d’une déformation du mot « réticule », qui désigne un petit filet[3] et par extension, les petits sacs que portaient les dames. Mais si le « ridicule » est un petit sac, les propos de la Maréchale deviennent plus comiques encore : la femme de chambre va délicatement « prendre un haricot du grand sac », pour ensuite le « jeter » dans son ridicule, qui, suivant l’importance du bal, doit finir par être bien rempli. Mariette et le haricot magique.

 

Le Littré cite les Souvenirs de la marquise de Créquy :

 

 « Je vous ai déjà dit que les femmes avaient repris l'usage des sacs à ouvrage que les antiquaires appellent ‘réticules’, attendu que ceux des dames romaines étaient formés en filet de réseau ; mais les bourgeoises qui les portent disent toujours des ‘ridicules’. »[4]

 

Ah, ces bourgeoises, toujours à copier les mœurs des grands, mais jamais à la hauteur ! Un thème récurrent dans ce genre de correspondance. Toujours d’après le Littré, le terme « ridicule », employé au sens de « sac », aurait été d’usage sous le Directoire, à la toute fin du XVIIIème donc. Et bien, force est de constater qu’on avait toujours ses « ridicules » au milieu du XIXème... Et peut-être même qu’aujourd’hui encore, le terme serait bienvenu. Il faudrait  d'ailleurs indiquer à la jeune personne qui a traité un jour Madonna de « vieux sac ridicule » qu'entre « sac  » et « ridicule », il faut choisir. Le « vieux », en revanche, reste... Mais c'est bien là le propre du vieux.



[1] Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Volume II : 1836-1840, Plon, Paris, 1840

[2] Le 28 janvier 1393, aux petites heures du matin, les convives de Charles VI, qui s’étaient enduits de poix pour « jouer les sauvages » lors d’un charivari, se transforment en torches humaines. Le frère du roi avait voulu voir de trop près qui se cachait derrière les plumes et les poils d’étoupe agglutiné et il avait approché sa torche. On se souvient de cet évènement comme du « bal des ardents ».

[3] Les « rets » sont, en vieux français, les filets de pêche, du latin rete.

[4] Decourchamps, Souvenirs de la marquise de Créquy, t. IX, ch. V (in Littré, article « ridicule »)

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