J’ai pour habitude de regarder les films étrangers en langue originale. Or, il s’agit souvent des films d’Ingmar Bergman, en suédois donc, avec des sous-titres anglais et quelques fois, avec des sous-titres suédois. En général, au bout de quelques minutes, je commence à comprendre suffisamment ce qui est dit pour suivre l’histoire. Cela n’a pas manqué de m’étonner, car, avant de faire cette expérience, j’associais à tort la langue suédoise au finnois, une langue que j’aurais nettement moins de chances de comprendre. J’ai l’impression d’entendre une sorte d’allemand déformé, prononcé avec le haut du palais, et suivant les règles de l’anglais, d’où ma relative aisance. J’ai donc entrepris de me renseigner un peu, tant par curiosité, que par sympathie et par respect pour tous ces Suédois que j’ai rencontrés en personne ou au travers d’une œuvre, tels que le réalisateur Ingmar Bergman, les acteurs Ingrid Bergman, Liv Ullmann, Max von Sydow, Halvar Björk, et Stellan Skarsgård, le ténor Jüssi Björling, le Comte Axel de Fersen, les auteurs Selma Lagerlöf, August Strindberg et Gustaf Fröding, la poupée laponne de ma petite sœur ou encore cette charmante inconnue dans une librairie parisienne.
Survol de l’évolution de la langue suédoise à la Nils Holgersson
Un rapide survol historique permet d’appréhender les différents éléments que l’on remarque intuitivement en écoutant ou en lisant un peu de suédois.
Schématiquement, les langues actuelles des pays scandinaves dérivent toutes du vieux scandinave apparu au VIIIème siècle et dérivant lui-même de l’ancien scandinave. Entre les VIIème et XIIème siècles, le vieux scandinave se transforma progressivement pour donner deux branches différentes : le scandinave occidental, parlé en Norvège et en Islande et le scandinave oriental, parlé au Danemark et en Suède. Puis, entre le XIIème et le XIIIème siècle, le scandinave oriental lui-même connut encore une évolution, de sorte qu’il donna naissance au vieux danois et au vieux suédois. C’est cette dernière forme linguistique qui fut le prélude au suédois actuel.
On trouve un exemple de ce suédois médiéval dans le code de loi de Vastgöta ou Vastgötalagen, un écrit utilisant l’alphabet latin qui est daté du milieu du XIIIème siècle. La grammaire en était plus complexe que celle du suédois moderne, plus proche de l’allemand aussi, avec trois genres, masculin, féminin et neutre et quatre cas, nominatif, génitif, accusatif et datif. Durant cette période, deux influences linguistiques majeures ont contribué à façonner la langue. La première : celle de l’église catholique et des ordres monastiques, qui répandirent le latin et le grec. La seconde : celle de la Hanse, alliance de villes marchandes qui menait un commerce florissant, de Londres à Bergen, en Norvège actuelle, en passant par Bruges, Brême et Hambourg, et qui introduisit l’usage de l’allemand et du néerlandais. Ainsi, la plus part des termes désignant le commerce maritime et plus généralement le domaine maritime dérivent en plus ou moins droite ligne du néerlandais.
Il semblerait que ce soit la Bible dite de Vasa, du nom du monarque qui en a ordonné la traduction en suédois, publiée en 1526, qui ait fixé un certain nombre de règles orthographiques, marquant ainsi l’entrée dans l’ère du suédois moderne.
Svenska är ett germanskt språk som också talas i Finland, le suédois est une langue germanique également parlée en Finlande. De fait, la langue suédoise est donc une langue germanique et scandinave comme l’islandais, le danois et le norvégien, mais bien différente du finnois, qui n’est ni une langue germanique, ni une langue scandinave.
Evolution schématique de la langue suédoise du scandinave ancien à la langue actuelle
Concernant le suédois moderne, tel qu’il est parlé de nos jours, les années 1960 ont eu leur importance, en introduisant notamment la du-reformen, littéralemnt « la réforme du tu ». En effet, jusque là, on s’adressait aux gens qu’en utilisant leurs titres et leur nom de famille. Les mots « monsieur », « madame » et « mademoiselle », herr, fru, et fröken ne pouvant être employés que s’il s’agissait vraiment de personnes totalement inconnues. La bonne société parlait donc à la troisième personne… Une première tentative d’introduire le « vous », ni, ayant échoué au début du XXème siècle, il a fallu attendre les années soixante pour en arriver au du beaucoup plus familier. Les considérations de rang, de titres et de classe en ont été au moins partiellement abolies.
Le parallèle avec l’allemand, également très à cheval sur les titres est intéressant ici. L’allemand n’a pas abandonné ses titres, qu’il s’agisse de titres de noblesse ou de titres académiques. L’emploi du « Frau doktor » et du « Herr Doktor » est monnaie courante, alors qu’en France, par exemple, le titre de docteur est, dans la langue courante, réservé aux docteurs en médecine. A vrai dire, c’est l’anglais qui tient la position médiane en faisant suivre par écrit le nom d’une personne ayant un doctorat des lettes « phd. ». Notons que le « mademoiselle », fröken est abandonné en suédois au profit du « madame », fru, comme le « Fraulein » est abandonné an allemand au profit du « Frau ». L’anglais se contentant de brouiller la différence entre « madame » et « mademoiselle » en utilisant de plus en plus « Ms » au lieu de « Mrs » ou « Miss ».
Un peu de vocabulaire
Un grand nombre de mots viennent de l’allemand, soit parce que le suédois est un langue d’origine germanique, soit du fait des influences du commerce de l’alliance hanséatique aux XIIème et XIIIème siècles.
- Mots témoignant d’une racine germanique commune
Ainsi trouve t-on des mots qui témoignent d’une racine germanique commune comme « ciel » qui se dit himmel, exactement comme en allemand, ou « eau » qui se dit vatten, comme l’allemand « Wasser » et l’anglais « water ». De vatten vient d’ailleurs le nom de la compagnie suédoise d’électricité Vattenfall, terme qui désigne en suédois une chute d’eau et qui fait allusion à l’électricité « propre » produite par les barrages posés sur les principaux fleuves suédois. La nuit se dit natt, très proche de l’allemand « Nacht » ou de l’anglais « night » et le jour dag, comme un mélange de l’allemand « Tag » avec l’anglais « day ». L’être humain se dit människa, on y reconnaît un peu l’allemand « Mensch » et peut-être mieux l’anglais « mankind ». Il faut noter à ce titre que certains mots sont plus significativement plus proches de l’anglais que de l’allemand. Ainsi des verbes comme « manger » et « boire », respectivement äta et dricka, sonnent plus comme les verbes anglais « eat » et « drink » que des verbes allemands « essen » et « trinken ».
- Mots empruntés à d’autres langues
S’agissant des emprunts à d’autres langues, le plus visible est sans doute les emprunts à la langue allemande liés au commerce hanséatique. Par exemple, le mot bomull qui désigne le coton provient de l’allemand « Baumwolle ». Dans le même esprit et sans surprises, un grand nombre de mots touchant aux nouvelles technologies et aux affaires viennent de l’anglais.
Il faut noter également qu’un certain nombre de mots furent empruntés au français au cours des XVIIème et XVIIIème siècles et sont prononcés à la française, suffisamment bien d’ailleurs pour qu’un francophone attentif puisse les reconnaître. C’est le cas par exemple, des mots « niveau », nivå, « fauteuil », fåtölj, « théâtre », teater et « affaire », affär. Remarquons ici qu’affaire n’a pas le sens anglais d’ « aventure amoureuse », mais bien le sens commercial un peu inusité de nos jours car on lui préfère les mots « société » ou « entreprise ». A vrai dire, ces emprunts de mots touchant aux domaines artistiques, culturels et gastronomiques n’ont rien de remarquable. Le russe par exemple, emploie couramment les mots « théâtre », « régisseur » et « acteur » transcrits en cyrillique.
Il reste des noms que ni un germanophone, ni un anglophone, ni un francophone ne peuvent saisir, comme jord, « terre », eld, « feu ». On serait tenté de relier jord à « fjord »... Seulement « fjord » reste un mot norvégien, l’équivalent suédois étant fiärd. Le mot kvinna, femme, est tout aussi impénétrable... A moins que l’on en connaisse le secret, qui nous est révélé par Kvinnors väntan, titre original du film Secrets de femmes (Ingmar Bergman, 1952).
Incursion au sein de la grammaire suédoise en compagnie d’un petit poisson
Il existe deux genres, non pas masculin et féminin, mais commun et neutre : en et ett. Le poisson, fisk, a de la chance, il n’est pas neutre, mais appartient au genre commun, on dit donc en fisk.
Les noms ne se déclinent mais il existe tout de même deux formes, la forme indéfinie et la forme définie. La forme indéfinie ne présente rien de particulier, il s’agit juste du nom simple. La forme définie correspond au nom suivi de son article, c'est-à-dire le nom suivi des suffixes -en/n (genre commun) ou -et/t (genre neutre). Un peu comme si l’on disait en français « poisson » (indéfini) et « poissonle » (défini), « table » (indéfini) et « tablela » (défini). Si l’on continue avec notre petit poisson suédois, on obtient :
- Au singulier : fisk (indéfini) donne fisken (défini)
- Au pluriel : fiskar (indéfini) donne fiskarna (défini)
Cependant, le suédois a crée ce que j’appellerai le « défini du défini ». En effet, en plus de en et ett, on trouve den, det et de (pluriel unique). En et ett sont des déterminants « définis » comme on l’a vu, mais den et det sont plus définis encore. Si l’on compare au français, en et ett seraient un et une, den et det seraient le et la… Mais en français, on n’appelle « un » et « une » des « articles indéfinis ». Nous avons « un poisson », puis « le poisson », les suédois commencent déjà à « poisson », puis « un poisson », puis enfin « le poisson ». Notre poisson remonte le cours d’eau :
- Au singulier : fisk (indéfini), fisken (défini), den fisken (« défini du défini »)
- Au pluriel : fiskar (indéfini), fiskarna (défini), de fiskarna (« défini du défini »)
En combinant les déterminants den, det et de avec les adverbes här et där, proches en sonorité de l’anglais « here » et « there », et équivalents d’« ici » et « là », on obtient « celui-ci », « celle-ci », « ceux-ci » et ainsi de suite. Si l’on reprend encore ce pauvre poisson :
On obtient du moins défini au plus défini :
- Au singulier : fisk (indéfini), fisken (défini), den fisken (« défini du défini »), den där fisken (équivalent de l’anglais « that »), den här fisken (équivalent de l’anglais « this »)
- Au pluriel : fiskar (indéfini), fiskarna (défini), de fiskarna (« défini du défini »), de där fiskarna (équivalent de l’anglais « those »), de här fiskarna (équivalent de l’anglais « these »)
Petite particularité amusante : un article défini comme ett ou en peut indiquer la possession. Par exemple, dans jag måste tvätta håret, « I must wash my hair », la possession des cheveux est simplement marquée par le suffixe défini et. En l’occurrence, il n’y a pas non plus de possessif dans la phrase française « je dois me laver les cheveux », ni dans la phrase allemande « ich muss mich die Haare waschen », puisque les deux langues utilisent une tournure impersonnelle. J’en conclue que si les cheveux suédois, français et allemands ont besoin d’un shampoing, les cheveux anglais, possédés, ont besoin d’un exorcisme.
Comme en allemand et en anglais, les adjectifs précèdent le nom qu’ils qualifient. Les adjectifs se déclinent suivant la forme, définie ou indéfinie, le genre et le nombre. Au pluriel, ils prennent toujours le suffixe « -a », au singulier, il prennent les suffixes « -en » au défini et « -a » à l’indéfini. Avec notre « petit » poisson, on obtient :
- Au singulier : liten fisk (indéfini) et den lilla fisken (défini)
- Au pluriel : små fiskar (indéfini) et de små fiskarna (défini)
On note que petit se dit liten/lilla au singulier, comme l’anglais « little » et små au pluriel, toujours comme l’anglais, « small ».
Incursion au sein de la conjugaison suédoise en compagnie du poisson frit
La conjugaison suédoise possède un certain nombre de similitudes avec la conjugaison anglaise. Si l’on prend, par exemple, la formation des participes passés et présents : il faut en général rajouter le suffixe «-d » ou « -t » au verbe pour obtenir un prétérit et de rajouter le suffixe « -and » pour obtenir un participe présent. L’anglais rajoute respectivement les suffixes « -d » ou « -ed » et « -ing », l’allemand les suffixes « -t » ou « -en » et « -end ». Bien évidemment, il y a de nombreuses irrégularités et il s’agit la de l’idée générale. On remarque que, comme en anglais et en allemand, les participes présents et passé sont souvent utilisés pour qualifier des noms. Si l’on rend notre poisson « grillé » ou « puant », ce qui est, il est vrai très ingrat, après les services rendus, on obtient :
- Avec un participe passé : en stekt fisk : « a fried fish », « un poisson frit »
- Avec un participe présent (qui serait plutôt un adjectif verbal en français) : en stinkande fisk : « a stinking fish », «un poisson puant »
Petite particularité de la langue suédoise : l’usage du supin au lieu du participe passé pour la formation d’un passé composé, que l’on ne trouve ni en français, ni en anglais, ni en allemand. Bien que, comme en latin, le supin puisse être identique au participe passé. Ainsi peut-on considérer les deux exemples suivants :
- Le verbe peindre a pour participe passé målad et pour supin målat, on a donc au passé composé : har målat
- le verbe frire a pour participe passé stekt et pour supin identique stekt, on a donc au passé composé : har stekt
Notons ici que le verbe peindre en allemand est très proche du suédois, puisqu’il se dit « malen », le peintre « der Maler » et la peinture « die Malerei ». Les pronoms personnels jag, du, han, vi, ni, de, sont également proches de l’allemand « ich », « du », « er », « wir », « ihr », « sie ».
Concernant la syntaxe, l’ordre des mots est en général Sujet-Verbe-Objet, « typologie syntaxique SVO », comme disent les linguistes. (Notons au passage comme une langue devient nettement moins sympathique quand elle est désignée en termes linguistiques...). Cependant, comme en allemand, un autre élément de la phrase peut remplacer de sujet, un adverbe par exemple, l’essentiel étant que le verbe reste bien en deuxième position. A propos de l’ordre des mots, le suédois est aussi proche de l’anglais, car il suit l’ordre suivant pour ses compléments : lieu-manière-temps. N’est-il pas d’ailleurs paradoxal pour une langue de marchands de finir par le temps ? « Time is money ». L’allemand au contraire commence par le temps, et finit par le lieu.
Un peu de pratique
S’il y a bien un domaine où la pratique est aussi intéressante que la théorie, ce sont les langues vivantes. Voici donc une petite liste en version originale (non exhaustive) des films d’Ingmar Bergman:
Sommarnattens leende, Smiles of a Summer Night (1955)
[Allemand Sommer, été, Nacht, nuit et Lächeln, sourire]
Det sjunde inseglet, The Seventh Seal (1957, Prix du Jury du Festival de Cannes)
[Allemand siebte, septième, Siegel, sceau]
Nära livet, Brink of life (1958, Golden Bear)
[Allemand Leben, vie]
Ansiktet, The Face aka The Magician (1960)
Jungfrukällan, The Virgin Spring (1960)
[Allemand Jungfrau, vierge]
Smultronstället, Wild strawberries (1960)
Såsom i en spegel, Through a Glass Darkly (1963)
[Allemand Spiegel, miroir]
Viskningar och rop, Cries and Whispers (1974)
Scener ur ett äktenskap, Scenes from a Marriage (1974)
[Allemand Scene, français scène]
Ansikte mot ansikte, Face to Face (1974)
[Allemand Ansicht, vue, Gesicht, visage]
Trollflöjten, The Magic Flute (1976)
[Allemand Flötte, flute]
Höstsonaten, Autumn Sonata (1979)
[Allemand Herbst, automne]
Fanny och Alexander, Fanny and Alexander (1984)
Saraband, (2005)