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26 août 2009 3 26 /08 /août /2009 09:45






Grüezi!  Dans la série le Chapelier prend le train, voici la Suisse. Il va s’en dire que cette série risque fort d’être ennuyeuse comme un voyage en train. Elle est spécialement dédicacée aux vaches et autres bovidés qui, on le sait, ne s’ennuient pas en regardant passer les trains.

 

 

Le Chapelier ne va pas parler comme s’il avait parcouru la toute la Suisse en train, ce qui serait plus difficile qu’il n’y parait étant donné la densité du réseau ferroviaire helvétique. Non, le Chapelier ne connaît les trains suisses que de Zürich à Sankt Gallen. Il connaît aussi la SBB, Schweizerische Bundesbahn pour les intimes, la compagnie de train qui opère sur cette ligne. Et ce, en raison, horresco referens, d’un douloureux et laborieux travail effectué à Londres, mais c’est une autre histoire. Voici donc une petite aventure qu’il a vécue sur cette ligne  Zürich - Sankt Gallen.

 

Le périple du Chapelier commenca à l’aéroport de Zürich. La journée déjà bien avancée, il devait se rendre à Sankt Gallen avant la nuit. Il prit donc le train conduisant de l’aéroport à la gare. Un train très propre et ultramoderne, très suisse allemand en somme. Il eut le plaisir d’entendre les « yodlements » et autres meuglements pittoresques diffusés par les haut-parleurs pour accueillir les visiteurs. Une façon sympathique de rappeler aux voyageurs qu’ils avaient regagné le plancher des vaches. A la gare, le tableau d’affichage des départs indiquait un train pour Sankt Gallen en cinq arrêts : Winthertur, Wil, Uzwil, Flawil, et Gosseau. Il ne restait plus guère de temps avant le départ. Mais, préférer ces wils arrêts aux vingt arrêts du train suivant eut été nettement plus kon[3].

 

Le Chapelier a donc pris un billet à la va-vite, sans prendre le temps de bien vérifier la destination, et est monté dans le train. Il s’est dirigé dans la voiture-bar pour prendre un café en attendant le passage du contrôleur. A vrai dire, il espérait secrètement l’éviter, tout en ne se faisant guère d’illusion. Sur un trajet aussi long en Suisse, il était impossible qu’il ne soit pas contrôlé.

 

Et de fait, le contrôleur, qui se révéla être une contrôleuse, finit par passer. Le Chapelier avait eu le temps d’imaginer la stratégie à adopter. Il entendait être l’incarnation de la bonne foi, l’archétype de celui qu’on ne peut pénaliser sans un pincement au coeur. Le fonctionnaire suisse allemand ne fait typiquement pas cas de ses pincements au coeur, cela n’avançait donc pas à grand’chose, mais tout de même. Il voulait s’excuser d’emblée. Besser eine schlechte Entschuldigung als keine… Mais on dit aussi besser keine Entschuldigung als eine schlechte[4]. L’art de se contredire soi-même, ce pauvre Chapelier n’était pas plus avancé. Il n’en oubliait pas moins qu’il devait laisser transparaître un accent français suffisamment marqué. Le genre d’accent ni trop faible, ni trop fort, qui dirait : « regardez, je fais des efforts » mais aussi : « je ne suis pas Allemand, à moi aussi cette langue sert d’intermédiaire[5] ». Le Chapelier s’inspirait peut-être de Nantas, personnage d’une nouvelle de Zola qui, devant être reconnu comme un honnête étudiant pauvre mais studieux, s’achète un costume d’occasion, usé mais propre.

 

Enfin, il est peu probable qu’il ait jamais entendu parler de Nantas. Revenons à la contrôleuse. Elle prit le billet et écouta attentivement. Puis elle demanda au Chapelier son adresse. Il commença par donner son (ex-)adresse de Londres. Une adresse où l’on habite plus, est toujours pratique pour recevoir un avis de paiement. Seulement la contrôleuse n’entendait guère l’anglais. Et il ne se sentait pas d’épeler son adresse londonienne. Il tenta donc de proposer son adresse de Paris. Là encore, la contrôleuse, en pure Suisse allemande, ne saisit pas un traître mot. Seulement, il fallait bien qu’elle note une adresse dans son calepin. Le Chapelier, dans son désir de rendre service et accessoirement de se rendre service, lui indiqua qu’il avait aussi une adresse allemande, berlinoise pour être précis. Un sourire passa sur le visage de son amie la contrôleuse. Faire sourire une Suisse allemande en lui parlant de l’Allemagne : un exploit qu’il convient de souligner.

 

Ce fut alors au tour du Chapelier d’avoir une petite surprise. La contrôleuse se mit en devoir de lui rembourser le supplément qu’il avait, semblait-il, payé en prenant son billet. C’était la première fois et sans doute la dernière qu’il se faisait rembourser de l’argent par un contrôleur dans un train. Chère SBB, tu mérites bien ta réputation ! Arrêtons-nous un instant pour rendre hommage à l’affabilité et au professionnalisme de cette contrôleuse. Le Chapelier a peut-être la dent dure, mais il sait reconnaître le travail bien fait. Surtout quand on lui rembourse une partie de son billet. Il passa le reste de son voyage à discuter avec les trois Suisses allemands assis à sa table. Evidemment, et cela il l’avait prévu, avec trois adresses dans trois capitales européennes, et l’air d’importance d’un professeur qui se rend à une conférence de l’université de Sankt Gallen, le Chapelier passait presque pour un compatriote.

 

 

A suivre...



[3] Le Chapelier se mettrait-il à la vulgarité version sms ? Rassurez-vous. Les alentours de Zürich comportent beaucoup de villes qui finissent par le suffixe –kon. Si le Chapelier avait pris le train suivant, il aurait du passer en autres par Wetzikon, Bubikon et Schmerikon au lieu des « wils » Wil, Uzwil et Flawil. Précisons que le « w » se prononce « v » en allemand, sinon l’homonymie, qui n’est déjà pas très fine, est caduque.

[4] « Mieux vaut une mauvaise excuse que pas d’excuse du tout » et « mieux vaux ne pas s’excuser que de donner une mauvaise excuse ».

[5] Les Suisses allemands utilisent l’allemand tel qu’on le parle en Allemagne, le Hochdeutsch, pour communiquer avec les germanophones, mais la langue qu’ils parlent spontanément est le suisse allemand ou Schwitzerdütsch.

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21 août 2009 5 21 /08 /août /2009 20:40

 

 



 

 

 

 

"C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère

C'est qu'on veut sortir de sa sphère

C'est que... C'est que... Je ne finirai pas."

 

Claris de Florian



 

 


A peine savais-je parler et avant même que je sache lire, ma mère me lisait des poèmes. Je me souviens de La Carpe et les Carpillons de Claris de Florian, de La Grenouille bleue, de Paul Fort, du Givre, de Maurice Carême, et de tant d’autres textes qui, pour moi, ne ressemblaient à aucun autre. Etais-je sensible à la beauté ? Pouvais-je saisir les nuances ? Je crois que je pressentais simplement des mondes endormis. Ce qui me plaisait le plus était de voir le plaisir que ma mère éprouvait à lire ces poèmes. C'est son amour de la poésie et de la musique qui nourrissait  ces  moments uniques, que pour rien au monde je n’eus laissé passer. Le ton de sa voix mélangé aux sonorités étranges des textes inconnus faisait naîre des images et des sentiments d’une richesse exceptionnelle. Des sentiments tels que l’on ne peut les éprouver que durant la petite-enfance...

 

Je revois un espace concentré, sombre, mais d’une obscurité comme je les aime, enveloppante et protectrice. Cette obscurité que l’on est heureux de retrouver chez soi quand l’orage gronde au dehors. Je revois le livre et les pages où je me demandais s’il fallait lire les espaces noircis par l’encre ou les espaces laissés blancs[1]. Nous commencions par La Carpe et les Carpillons. Une rivière débordait de son lit et les carpes grisées suivaient les flots. Il n'y avait que cette vieille carpe sage, que j’eusse volontiers écoutée, pour dire : « Prenez garde mes fils, côtoyez moins le bord, suivez le fond de la rivière ; craigniez la ligne meurtrière». Je la voyais dans les tons rouges et ocre, avec de grosses écailles et des yeux vitreux. Et ces imbéciles de carpillons qui criaillaient : « Ah ! Ah ! […] Qu’en dis-tu carpe radoteuse ? ». J’ai toujours aimé le mot « carpillon », pour moi, les carpillons étaient de mignonnes petites choses. Je les voyais bondir joyeux et insouciants dans l’eau débordée. Mais bien vite, je m’indignais de leur manque de respect. Trop bien élevé, trop raisonnable cet enfant, direz-vous. Et Dieu sait que vous aurez raison. J’ignore comment on peut à deux ans préférer la vielle carpe aux frétillants carpillons, mais les enfants ont un esprit très logique. Or « les carpillons demeurèrent bientôt ils furent pris et frits ». Pour moi, cela ne faisait pas un pli, je me promettais de ne pas finir comme ces petits ignorants. « C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère », si ma mère avait voulu me rendre sage, elle n’aurait pu choisir mieux.

 

Nous laissions donc les carpillons se noyer et la vieille carpe désabusée leur survivre, et nous passions à La Grenouille bleue. J’aimais la grenouille bleue qui se dérobait aux regards, elle était discrète et je la comprenais. On la cherchait, et pour moi, elle était cachée dans une grande aquarelle aux couleurs diluées. « Un vrai saphir à pattes », je voyais très bien ces petites pattes mignonnes et frêles. Et le poème avait cette jolie chute : « Complice du beau temps, amante du ciel pur, elle était verte, mais réfléchissait l’azur ». Là, seuls les sons me parlaient, mais c’était bien assez, c’était la chanson de la grenouille bleue.

 

Alors, nous arrivions à un poème de Maurice Carême, Le Givre. Celui-ci avait clairement la préférence de ma mère. A vrai dire, c’était celui que j’aimais le moins. Peut-être le comprenais-je moins bien ? Mais encore une fois, pour rien au monde je ne le lui aurais dit quoi que ce soit. Il parait que j’ai parlé exceptionnellement tôt, apparemment j'ai aussi su me taire de bonne heure. D’ailleurs, elle répétait souvent : « la parole est d’argent, le silence est d’or». Je me contentais donc d’écouter la voix d’argent de ma mère dire « les tremblants animaux que le givre a fait naître la nuit sur [la] fenêtre ».


 

 



[1] Vaste sujet bien moins innocent qu’il y parait... Et qui mériterait bien que je m'y penche de plus près.

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L'orange Maltaise

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  • : « Il pourrait se trouver, parmi [mes lecteurs] quelqu’un de plus ingénieux ou de plus indulgent, qui prendra en me lisant ma défense contre moi-même. C’est à ce lecteur bienveillant, inconnu et peut-être introuvable, que j’offre le travail que je vais entreprendre. Je lui confie ma cause ; je le remercie d’avance de se charger de la défendre ; elle pourra paraître mauvaise à bien du monde ! » (Mémoires de la Duchesse de Dino, 1831)
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