Grüezi! Dans la série le Chapelier prend le train, voici la Suisse. Il va s’en dire que cette série risque fort d’être ennuyeuse comme un voyage en train. Elle est spécialement dédicacée aux vaches et autres bovidés qui, on le sait, ne s’ennuient pas en regardant passer les trains.
Le Chapelier ne va pas parler comme s’il avait parcouru la toute la Suisse en train, ce qui serait plus difficile qu’il n’y parait étant donné la densité du réseau ferroviaire helvétique. Non, le Chapelier ne connaît les trains suisses que de Zürich à Sankt Gallen. Il connaît aussi la SBB, Schweizerische Bundesbahn pour les intimes, la compagnie de train qui opère sur cette ligne. Et ce, en raison, horresco referens, d’un douloureux et laborieux travail effectué à Londres, mais c’est une autre histoire. Voici donc une petite aventure qu’il a vécue sur cette ligne Zürich - Sankt Gallen.
Le périple du Chapelier commenca à l’aéroport de Zürich. La journée déjà bien avancée, il devait se rendre à Sankt Gallen avant la nuit. Il prit donc le train conduisant de l’aéroport à la gare. Un train très propre et ultramoderne, très suisse allemand en somme. Il eut le plaisir d’entendre les « yodlements » et autres meuglements pittoresques diffusés par les haut-parleurs pour accueillir les visiteurs. Une façon sympathique de rappeler aux voyageurs qu’ils avaient regagné le plancher des vaches. A la gare, le tableau d’affichage des départs indiquait un train pour Sankt Gallen en cinq arrêts : Winthertur, Wil, Uzwil, Flawil, et Gosseau. Il ne restait plus guère de temps avant le départ. Mais, préférer ces wils arrêts aux vingt arrêts du train suivant eut été nettement plus kon[3].
Le Chapelier a donc pris un billet à la va-vite, sans prendre le temps de bien vérifier la destination, et est monté dans le train. Il s’est dirigé dans la voiture-bar pour prendre un café en attendant le passage du contrôleur. A vrai dire, il espérait secrètement l’éviter, tout en ne se faisant guère d’illusion. Sur un trajet aussi long en Suisse, il était impossible qu’il ne soit pas contrôlé.
Et de fait, le contrôleur, qui se révéla être une contrôleuse, finit par passer. Le Chapelier avait eu le temps d’imaginer la stratégie à adopter. Il entendait être l’incarnation de la bonne foi, l’archétype de celui qu’on ne peut pénaliser sans un pincement au coeur. Le fonctionnaire suisse allemand ne fait typiquement pas cas de ses pincements au coeur, cela n’avançait donc pas à grand’chose, mais tout de même. Il voulait s’excuser d’emblée. Besser eine schlechte Entschuldigung als keine… Mais on dit aussi besser keine Entschuldigung als eine schlechte[4]. L’art de se contredire soi-même, ce pauvre Chapelier n’était pas plus avancé. Il n’en oubliait pas moins qu’il devait laisser transparaître un accent français suffisamment marqué. Le genre d’accent ni trop faible, ni trop fort, qui dirait : « regardez, je fais des efforts » mais aussi : « je ne suis pas Allemand, à moi aussi cette langue sert d’intermédiaire[5] ». Le Chapelier s’inspirait peut-être de Nantas, personnage d’une nouvelle de Zola qui, devant être reconnu comme un honnête étudiant pauvre mais studieux, s’achète un costume d’occasion, usé mais propre.
Enfin, il est peu probable qu’il ait jamais entendu parler de Nantas. Revenons à la contrôleuse. Elle prit le billet et écouta attentivement. Puis elle demanda au Chapelier son adresse. Il commença par donner son (ex-)adresse de Londres. Une adresse où l’on habite plus, est toujours pratique pour recevoir un avis de paiement. Seulement la contrôleuse n’entendait guère l’anglais. Et il ne se sentait pas d’épeler son adresse londonienne. Il tenta donc de proposer son adresse de Paris. Là encore, la contrôleuse, en pure Suisse allemande, ne saisit pas un traître mot. Seulement, il fallait bien qu’elle note une adresse dans son calepin. Le Chapelier, dans son désir de rendre service et accessoirement de se rendre service, lui indiqua qu’il avait aussi une adresse allemande, berlinoise pour être précis. Un sourire passa sur le visage de son amie la contrôleuse. Faire sourire une Suisse allemande en lui parlant de l’Allemagne : un exploit qu’il convient de souligner.
Ce fut alors au tour du Chapelier d’avoir une petite surprise. La contrôleuse se mit en devoir de lui rembourser le supplément qu’il avait, semblait-il, payé en prenant son billet. C’était la première fois et sans doute la dernière qu’il se faisait rembourser de l’argent par un contrôleur dans un train. Chère SBB, tu mérites bien ta réputation ! Arrêtons-nous un instant pour rendre hommage à l’affabilité et au professionnalisme de cette contrôleuse. Le Chapelier a peut-être la dent dure, mais il sait reconnaître le travail bien fait. Surtout quand on lui rembourse une partie de son billet. Il passa le reste de son voyage à discuter avec les trois Suisses allemands assis à sa table. Evidemment, et cela il l’avait prévu, avec trois adresses dans trois capitales européennes, et l’air d’importance d’un professeur qui se rend à une conférence de l’université de Sankt Gallen, le Chapelier passait presque pour un compatriote.
A suivre...
[3] Le Chapelier se mettrait-il à la vulgarité version sms ? Rassurez-vous. Les alentours de Zürich comportent beaucoup de villes qui finissent par le suffixe –kon. Si le Chapelier avait pris le train suivant, il aurait du passer en autres par Wetzikon, Bubikon et Schmerikon au lieu des « wils » Wil, Uzwil et Flawil. Précisons que le « w » se prononce « v » en allemand, sinon l’homonymie, qui n’est déjà pas très fine, est caduque.
[4] « Mieux vaut une mauvaise excuse que pas d’excuse du tout » et « mieux vaux ne pas s’excuser que de donner une mauvaise excuse ».
[5] Les Suisses allemands utilisent l’allemand tel qu’on le parle en Allemagne, le Hochdeutsch, pour communiquer avec les germanophones, mais la langue qu’ils parlent spontanément est le suisse allemand ou Schwitzerdütsch.