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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 16:33



Elle fume pas, elle boit pas, elle drague pas, mais... elle cause!

(Audiard, 1969) Bande-annonce.

 


Je dispose d’une petite heure et je décide d’aller prendre un bon café au Starbucks. Vu l’heure et le quartier, je sais que j’ai de fortes chances  de tomber sur une bande de fils et filles à papa. Le genre de bande constituée de trois à quatre petits monstres d’égoïsme des deux sexes, qui braillent en exhibant leur iphone, entre deux gorgées de la dernière boisson à la mode. Mais, je prends le risque : j’aurais peut-être la bonne surprise de pouvoir déguster mon café et lire en paix. Pourquoi devrais-je toujours avoir raison ? Et puis pourquoi ces bandes devraient-elles être antipathiques ? Les gens n’ont-ils pas le droit de s’amuser ?

Je m’assieds à une table les deux tables à côté sont inoccupées : c’est bien parti. Je devrais être optimiste plus souvent, cela me réussit. A peine ais-je pensé cela qu’une flopée de quatre étudiants viennent occuper les tables libres. De parfaits spécimens, on n’aurait pas pu rêver mieux. Trois filles et deux garçons. Je vois très bien le genre, trop bien même, mais je décide de rester un peu. Une fille commence à prendre la chaise en face de moi, sans s’excuser, normal. Le garçon lui dit : « Ben demande avant ». Tiens, ses parents auraient-ils tenté un semblant d’éducation ? Etonnant. J’ai une pensée émue pour eux. La fille, quant-à elle, s’exécute, mais manifestement ce genre de finasserie lui passe à dix mille pieds de la tête.

Ils commencent à parler, je continue à lire. Ils parlent de leurs cours de comptabilité, ça a l’air très très dur. C’est certain que pour réussir en comptabilité, il faut être très très intelligent… La fille à la chaise est « d-é-g-o-û-t-é-e », pourquoi ? « J’ai fait le partiel de 2006, celui de 2007, celui de 2008 et celui de 2009. Je savais tous les refaire et aussi les interros de cours et je me tape 6/20. Non mais trop dégoûtée !» Bien, donc, en somme, tu viens de dire à tes amis « Je suis tellement conne que même quand je travaille comme une folle, j’arrive encore à me taper 6/20 ». J’avoue que j’aurais évité : je n’aurais pas mentionné le travail acharné ou pas le 6/20, pas les deux dans la même phrase en tout cas…  Elle est très honnête cette fille en fait, j’admire. Les amis se taisent un très bref instant, il y a comme l’ombre d’un silence gêné. C’est très fugace, mais c’est bien là. Quand même ! Les amis réalisent, mais ils ne relèvent pas. Du reste, la fille à la chaise est le pilier du groupe, elle anime la conversation, elle a toujours quelque chose à dire, toujours quelque chose à rajouter. Difficile de lire avec une personne aussi… dynamiquement creuse qui résonne à deux pas de soi.

Cela me fait revenir quelques années en arrière, j’ai un nom en tête : Anne-Laure. Cette Anne-Laure, je l’ai croisée dans mes études, c’était une miss-rallye qui avait atterri en prépa et qui tentait, entre deux soirées, de travailler tant bien que mal. Pas une lumière sans être excessivement stupide, assez expansive et bavarde à souhait. Je n’avais rien contre elle, sauf peut-être son attitude légèrement condescendante à l’égard de la personne « trop sérieuse » que j’étais, mais j’avais des co-préparationnaires qui lui étaient ouvertement hostiles. Un jour, alors que, pour la n-ième fois, ils me répétaient que, quand on est « comme elle », on ne devrait pas se payer le luxe d’être aussi expansive, je leur fis remarquer qu’elle avait tout de même réussi à entrer dans notre prépa et que par conséquent son intelligence… Mon ami Maxime m’arrêta tout de suite : « Je ne sais pas si le mot ‘intelligence’ convient dans son cas », tout était dit. J’aimais bien ce Maxime.

Retour au XXIème siècle. Le groupe se met à parler « TOC », Troubles Obsessionnels Compulsifs. Classique, ils ont sûrement une professeure qui a un TOC, quelqu’un qu’ils peuvent détester à loisir. Ils vont énumérer les autres « cas » dans leurs connaissances, puis ils vont tenter de « conceptualiser ». Manifestement, ils ont des idées confuses sur le sujet. La fille de la chaise évoque le syndrome Gilles de la Tourette. Pas mal, elle arrive à sortir le nom sans se tromper. Mais voila qu’elle se pique de vouloir imiter les effets du dit syndrome. D’une voix rauque, et vide à faire honte à un déficient mental,  elle hurle, ou plutôt elle éructe, un consternant : « pauvre con ! » Dire que j’apprécie beaucoup ce genre d’agression sonore est encore un euphémisme. Elle ne sait pas qu’elle vient d’échapper à une brûlure intégrale du visage au  café bouillant. Elle recommence, une fois, deux fois, non, trois fois. Le garçon l’interrompt, il est vaguement gêné. Elle recommence encore. Elle ressemble au mauvais garçon de Pinocchio juste après sa transformation en âne : elle brait littéralement. Elle fume pas, elle boit pas, elle drague pas, mais ... elle brait! [1], un film d’Audiard (Michel, parce que Jacques on en parle assez en ce moment).

Je me perds dans mes pensées… Consternation. Si ces gens là existent, s’ils sont la majorité… Ce n’est pas juste un petit moment de délire entre amis. C’est un lieu public ici, il y a des gens qui travaillent. Plus tard elle aura un métier, elle aura un master, quoique, vu ses notes c’est mal parti. Ces gens-là ont des parents… ces gens-là auront des enfants. Ils vivent leur petite vie, ils vont aux soirées… C’est ainsi qu’il faudrait que je sois, il faudrait que je me moque de tout, que je me contente d’étaler ma « personnalité », si pauvre soit-elle, à la face du monde… Il faudrait que je m’en fiche. Comme elle. Quand même, elle contredit ma théorie que les gens sont haïssables en foule et plus supportables pris individuellement. Elle tourne sur elle-même, elle se fiche de son environnement, pire, elle le méprise. Elle n’est pas juste abyssalement stupide, elle est abyssalement égoïste. Elle tuerait avec le sourire, comma ça, sans rendre compte : « Ben quoi ? J’ai pas fait exprès ! ». Ces gens-là sont dangereux, ce sont les personnes à stupidité contondante, ils ne tranchent pas, ils ne sont pas incisifs, ils tuent par contondance, par leur bêtise, par leur ignorance, par leur lourdeur… Je ressors de mes pensées. Un peu de café. La prochaine fois, je ne resterai pas. Je retourne à mon livre. Qu’est-ce que je lisais au fait ? Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du mal, banalité du bien [2]

[1] Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais elle cause film d'Audiard de 1969, avec l’excellente Annie Girardot

[2] Terestchenko, Michel, Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du Mal, banalité du Bien, La Découverte, 2005.

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commentaires

C
<br /> BRAVO, C'EST BIEN DIT, ET TRÈS BIEN ÉCRIT<br /> <br /> <br />
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L
<br /> la fortune nous sourit parfois,<br /> nous arrivons après le passage de tels énergumènes,nuisance sonore nulle,<br /> seul le triste spectacle des traces de leur passage en ces lieux subsiste<br /> ultime signature de l'égoisme.....<br /> le Chapelier eut la présence d'esprit de traiter avec respect<br /> l'excellent café qu'il avait commandé au lieu de le transformer en arme de jet :)<br /> compliments<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Oui, merci M. Le Chat... Le Chapelier dispose en outre d'un bel exutoire: ce blog...<br /> <br /> <br />

L'orange Maltaise

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  • : « Il pourrait se trouver, parmi [mes lecteurs] quelqu’un de plus ingénieux ou de plus indulgent, qui prendra en me lisant ma défense contre moi-même. C’est à ce lecteur bienveillant, inconnu et peut-être introuvable, que j’offre le travail que je vais entreprendre. Je lui confie ma cause ; je le remercie d’avance de se charger de la défendre ; elle pourra paraître mauvaise à bien du monde ! » (Mémoires de la Duchesse de Dino, 1831)
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