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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 15:06


 


Antonin Dvorak, Symphonie No. 9 en mi mineur Op. 78, IV. Allegro (1893)

Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan (1973)

 


Une ville côtière du Sussex, août 2004. Je me promène avec Ruben sur le front de mer, sous un ciel de métal liquide. J’ai envie de soulever le couvercle nuageux pour voir enfin le « vrai ciel ». La mer elle-même semble se finir à la ligne d’horizon, difficile de croire qu’elle s’étende encore sur des centaines de milles jusqu’aux côtes normandes. Elle ressemble à un long ruban vert-gris, vert-de-gris, blanchi sur le bord qui touche la plage de galets. Elle n’est pas trop agitée, mais elle n’a pas l’air amical. C’est comme si cette énorme masse liquide disait : ‘imagine un peu ce dont je suis capable pendant la tempête’. Nous avançons dans la lumière grise, le vent souffle avec constance, je n’entends pas tout ce que Ruben me dit. Il parle de la chasse je crois. C’est un chasseur passionné, il bat la campagne dès qu’il le peut avec son fusil et ses deux chiens. D’ailleurs, les chiens nous précèdent dans notre promenade, il leur donne des ordres avec son sifflet à ultra-sons. Je referme un peu ma veste, on a beau être en août, il ne peut pas faire chaud avec un vent pareil. Mais, au moins, on respire.

En fait, je respire pour la première fois de ma vie. Je suis loin de tout et de tous, je suis hors de tout cadre, je suis ‘en vacances ‘. Certes, j’ai quelques obligations, j’ai une rentrée à préparer et je ne sais pas ce qui m’attend... Mais, je peux faire ce qui me chante, personne pour voir et encore moins dire quoi que ce soit. Je réside chez Ruben et Morwenna, à quelques centaines de mètres d’une immense plage de galets, dans une belle maison victorienne avec bow windows. Derrière l’une de ces bow windows se trouve ma chambre, au premier étage. Quand je rentre le soir, j’y monte en attendant le dîner. Je m’installe à la table et je travaille. Je travaille mon anglais, cela fait partie du plan : je ne veux pas parler seulement bien, avec une grammaire correcte et un bon vocabulaire, je veux la perfection (rien que ça !). Il faut parler avec les tournures et l’esprit qui font que même un Anglais n’y entendra aucune différence. Et pour cela, il faut s’imprégner, lire, encore et toujours, parler, répéter à voix haute ce que l’on sait par cœur. Comprendre par des œuvres littéraires comme par des  éléments insignifiants de la vie quotidienne, des choses bien plus profondes, c’est cela l’esprit de la langue.

Et justement, qu’est-ce que j’écoute comme musique, quelque chose de typiquement anglais pour me mettre dans le bain ? Tallis, Byrd, ou plus moderne peut-être : Benjamin Britten ? A vrai dire, pas du tout. J’écoute Dvořák, la Symphonie du Nouveau Monde. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai besoin d’entendre le scherzo et l’allegro. Etrange, j’écoute la Symphonie du Nouveau Monde alors que je me trouve dans l’ancien monde, la vieille Angleterre. Et encore, je ne suis pas dans la partie la plus vivante de cette vieille Angleterre. Je suis chez les vieilles gloires de la côte d’azur britannique, dans ces stations balnéaires encore à la mode il y a une trentaine d’années et tombées en désuétude depuis. Au temps de leur splendeur, ces villes côtières recevaient des visiteurs de marque, les partis politiques y tenaient leurs congrès. En 1984, c’est au Grand Hotel de Brighton que Margaret Thatcher se trouvait, quand a eu lieu l’attentat de l’IRA auquel elle échappa de justesse. Un 12 octobre pour être exacte, quelques jours plus tard et cela aurait été l’anniversaire de la victoire de Trafalgar. D’ailleurs, le HMS Victory, le bateau de l’amiral  Nelson, qui a laissé la vie dans la bataille, se trouve lui-aussi amarré sur la côte, à Portsmouth, pas loin de là où je réside. Mais cet ancien monde, les airs désuets du Royal Pavilion et du Brighton Pier, les plages de galets baignées de lumière grise, c’était mon nouveau monde à moi. Cela aurait pu être en un autre endroit, mais c’est là que j’ai découvert la liberté, le vol en apesanteur sous un ciel plombé.

Alors, oui, j’écoutais un compositeur tchèque, un Bohémien, au sens propre. Et non, je ne menais pas la vie de bohème, loin de là. C’étaient des vacances (trop ?) studieuses… Quand on a une vie très contrainte, un léger relâchement nous semble une folle liberté, voila tout. J’écoutais cette symphonie de Dvořák, qui est sa neuvième. La neuvième de Beethoven, c’est l’hymne à la joie. Je ne dirais pas que je ressentais à ce moment de la joie : trop de contraintes m’attendaient encore et j’en avais une conscience suraigüe. Mais, j’avais réussi à temporiser mes inquiétudes, à me concentrer sur la tâche présente et je croyais apercevoir comme un avant goût de ce que pourrait être ma vie d’après. J’avais décidé ce voyage de manière purement rationnelle, parce que c’était nécessaire, j’avais peur pour la suite, et en même temps, je me surprenais à éprouver… Du plaisir ? Un genre de sérénité ? De la légèreté, peut-être même un peu d’insouciance. Quelque chose de très différent de d’habitude en tout cas. Allegro moderato.

 

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